Le programme de Bayrou au ban d'essai

Publié le par David Méheut

L'éditorial d'Alain Madelin sur www.cerclesliberaux.com

Face à la «rupture» de Sarkozy, Bayrou surenchérit: il prône la révolution...

Le Bayrou nouveau est arrivé. Avec lui, le centre se veut désormais révolutionnaire !. Voici le leader de l’UDF devenu hérault du «Tiers-Etat», dénonciateur de nos institutions sclérosées et du pouvoir confisqué exigeant rien moins qu’un changement de régime. Nous sommes en janvier 1789, la France est dans une situation pré-révolutionnaire. L’analogie est puissante et elle n’est d’ailleurs pas sans fondement. La mutation de notre société industrielle hiérarchique et nationale vers une économie mondiale de la connaissance remet en cause nos structures sociales et politiques. Elle se heurte à bien des blocages qui ne sont pas sans rappeler ceux de la société française à la veille de la Révolution.
J’avais - on me pardonnera de me citer - développé en 1994 ( !) une analyse voisine.
«
Ce qui caractérise la fin de l’Ancien Régime, c’est la résistance des privilèges, qui, avec la complicité active des parlements, bloque toute réforme à commencer par la réforme fiscale. Le comte de Ségur a réservé l’accès à l’armée aux nobles pourvus de quatre quartiers de noblesse. Cela n’est pas sans parenté avec la distribution des places de ces dernières décennies. Nous avons reconstitué une nouvelle aristocratie d’Etat.
A la fin de l’Ancien Régime, les règlements du commerce des corporations et des manufactures paralysent l’initiative. Comme à la veille de la Révolution, sous la poussée démographique du XVIIIème siècle, l’ascenseur social est en panne.
»

Bref, comme aujourd’hui «la crise financière, les entraves à la liberté de travailler et d’entreprendre, une société qui se sclérose, la réaction nobiliaire, le manque d’offices pour accueillir tous ceux qui pourraient être utiles à la société, les privilèges qui se crispent et bloquent les chances des forces vives de la société… toutes choses qui auraient pu être résolues par la réforme mais Turgot ayant échoué, il n’y avait sans doute pas d’autre solution que la Révolution et ses désordres pour accomplir ce que l’Histoire attendait : l’abolition des privilèges, la proclamation des droits de l’homme et la liberté du commerce et de l’industrie»

J’ajoutais même alors que «l’évocation du tiers-état était tout à fait juste si l’on entend par là tout à la fois les Français les plus actifs, qui supportent charges et contraintes et se voient découragés dans leurs efforts d’initiative et de prise de risques, et, d’autre part, les Français les plus vulnérables, qui paient par l’impôt du chômage et l’impôt de l’exclusion la facture de nos rigidités.»

Malheureusement, François Bayrou nous offre des solutions qui ne sont pas à la hauteur de cette exigence révolutionnaire.

La partie institutionnelle de ses propositions est cependant de bonne facture. On y retrouve beaucoup des exigences d’une démocratie libérale : 1) un Etat impartial ; 2) une société civile autonome ; 3) une décentralisation repensée ; 4) une justice sereine avec un Garde des Sceaux nommé dans des conditions consensuelles et une Justice et une administration pénitentiaire dotées enfin de moyens financiers.

On peut s’interroger en revanche sur la réduction des pouvoirs d’un Premier ministre dont la mission serait avec le gouvernement «de mettre en oeuvre les choix présidentiels». Ce qui signifierait que seul compterait alors le programme présidentiel, auxquels les députés seraient de fait inféodés. Mais que se passerait-il si les Français envoyaient une majorité quelque peu différente de la majorité présidentielle ?. D’autant que François Bayrou propose d’introduire la proportionnelle – ce qui est en soit une bonne idée - afin d’aérer nos institutions et de contrebalancer la confusion entre majorité présidentielle et législative qui résulte du calendrier électoral. D’autant enfin, que François Bayrou souhaite un Parlement de «plein exercice» qui saurait sur quelques grands sujets dépasser les clivages gauche-droite pour réaliser des compromis utiles dont rien, bien entendu, ne peut garantir qu’ils s’inscrivent dans le programme présidentiel.

La partie économique et sociale en revanche, est loin d’être révolutionnaire. Si l’exigence de croissance et le rôle de l’entreprise sont sans doute plus marqués que dans le programme de l’UMP, on reste cependant bien en dessous du salaire révolutionnaire minimum.

Certes à la différence de l’UMP, on mentionne la nécessité d’une réforme fiscale d’ensemble appuyée sur le redéploiement des niches fiscales. Mais cette réforme n’a pas pour but de doper la croissance, de renforcer les incitations marginales à produire, innover ou épargner. Son objectif est d’assurer une meilleure égalité devant l’impôt dans un projet qui juge dangereuse toute baisse d’impôts rapides.

Un bon point cependant pour la réforme des retraites que l’on entend justement transformer en retraite par points comme le propose depuis longtemps les libéraux. L’assurance maladie, hélas, reste une économie administrée à ce détail prés, qu’elle serait administrée de près dans un cadre régional. Les propositions sur les 35 heures sont voisines de celles de l’UMP, sauf que les heures supplémentaires y sont mieux rétribuées. Celles sur l’école et l’université restent très conservatrices (et toute proportion gardée, moins audacieuses que celles de l’UMP).

Rien de novateur sur l’organisation d’un marché du travail plus libre et plus souple ou sur l’ouverture à la concurrence des secteurs protégés.

En revanche le moteur de l’imagination fiscale, comme à l’UMP, tourne à plein régime. Avec le «fiscalement correct» que sont désormais dans les programmes présidentiels, les différentes formes de fiscalité dites écologiques («ya qu’à» faire payer la pollution) ou le transfert des charges «pesant sur le travail». Entre TVA sociale, CSG ou taxe sur les énergies fossiles, les centristes n’ont pas encore choisi.

Bref, la révolution autour du centre proposée par François Bayrou fait penser à la formule de Lampedusa dans le Guépard «il faut que tout change pour que rien ne change»

Alain Madelin

Publié dans Actualité

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