Le mauvais procès fait au capitalisme financier

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L'analyse d'Alain Madelin sur la crise actuelle pour combattre un certain nombre d'idées reçues et le développement des "analyses économiques de comptoir":
(http://www.facebook.com/note.php?note_id=86089955423&ref=mf)


A en croire tout ce qui se dit et s’écrit, la crise actuelle serait le fruit d'un capitalisme financier dévoyé, dérégulé, sans foi ni loi. Voilà qui signerait la faillite du libéralisme et annoncerait le grand retour de l’Etat ! Cet acte d'accusation travestit cependant la réalité. La reconstitution des faits qui ont généré, diffusé et amplifié la crise nous dit tout autre chose.

D’abord parce que les subprimes à l’origine de la crise aux Etats-Unis sont la création du marché politique et non celle des marchés financiers. Pour faciliter l’accès à la propriété de ménages insolvables des catégories les plus pauvres et des minorités, on a voté des lois – le Community Reinvestment Act, afin de forcer les banques à leur prêter sous peine de procès pouvant conduire jusqu’à l’interdiction des banques elles-mêmes. On a aussi surtout utilisé des entités parapubliques, Fanny Mae et Freddie Mac, pour garantir des prêts octroyés à des conditions préférentielles et fabriquer des objets hypothécaires publics non identifiés.

Parce qu’ensuite, c’est une autre politique publique – celle de l’argent bon marché menée par la FED après 2001 – qui a provoqué une hausse euphorisante des prix de l’immobilier. La solvabilité des ménages augmentait avec la valeur de leur maison et Fanny Mae et Freddie Mac distribuaient toujours plus de crédits subprimes, sous la pression des autorités publiques républicaines et démocrates qui les dispensèrent même de règles de transparence comptable.

Jusqu'au jour où, suite à la remontée des taux de la FED, le marché immobilier s’est retourné, en entraînant une remontée du taux de défaillance des subprimes.

Cette défaillance s’est propagée du fait que ces créances hypothécaires bénéficiant d’un label implicite de l'État avaient été à la faveur des innovations financières incorporées dans des produits financiers complexes et disséminés sur une très large échelle.

Il n'y a rien de plus stupide que de faire porter la responsabilité de la crise à ces innovations financières conçues pour diviser et réduire les risques. Il serait tout aussi stupide de condamner les cutters au motif qu'ils peuvent servir à détourner un avion, où les avions au motif qu'ils peuvent contribuer à propager une épidémie.

En revanche, les utilisateurs imprudents de ces outils financiers portent une part de responsabilité. Paradoxalement les acteurs les moins réglementés de la finance comme les hedge funds ne sont pour rien dans la crise. Celle-ci s’est propagée dans un secteur réglementé et surveillé.

Les agences de notation financières sous le feu de la critique constituent un oligopole de fait dans le cadre d’un statut octroyé par le gendarme américain de la bourse, la SEC. Elles sont soumises en Europe à la réglementation des Etats à la suite d’une directive de 2003. De leur côté les banques d’investissements et les banques commerciales utilisatrices imprudentes de ces produits toxiques sont aussi encadrées et contrôlées. Les premières sont surveillées par la SEC qui les a autorisées à engager jusqu'à 30 ou 40 fois leurs fonds propres ! Les secondes, étroitement réglementées sont supervisées par la FED. Elles ont vu l’interdiction historique, de mélanger les activités de dépôt avec les activités à risques, levée en 1999. Elles ont contourné, au su et au vu de leurs autorités de tutelle, les règles bancaires pour créer des véhicules spéciaux d'investissement logés hors bilan afin de profiter elles aussi de l'argent bon marché et des innovations financières.

Tout autant que les autorités de surveillance, la régulation financière mérite d’être mise en cause.
Les normes comptables et prudentielles en vigueur ont amplifié et accéléré la crise au lieu de l'enrayer.
De nouvelles normes comptables ont obligé les banques et les entreprises à donner dans leur bilan une valeur à leurs actifs qui correspond à chaque instant au prix auquel elles pourraient le vendre si elles devaient le faire. Ces règles dites, de « juste valeur » ou de «mark to market », perdent leur sens quand le marché désorienté, en panne de confiance, s'écroule ou qu'il n'y a même plus de marché. Le prix bradé devient un prix de référence qui détruit de proche en proche tous les bilans.

Une telle réaction en chaîne qui multiplie les vendeurs forcés et fait baisser les prix rappelle la machine infernale de la crise de 1929 théorisée par le grand économiste américain Irving Fisher sous le nom de « déflation-dépression par la dette ». Sauf que cette fois les défaillances en cascade provenaient de la contagion comptable d’une défaillance initiale. C’est ce qui m’avait fait très tôt parler d’un risque de « déflation par la norme ».

De leur côté les règles prudentielles qui s'appliquent aux banques font qu’une dévalorisation comptable de leurs actifs doit être compensée par la vente d'autres actifs, une recapitalisation , ou par des provisions comptables. Pour 100 de provisions, la banque se doit de couper 1200 de crédit. Dès lors la réaction en chaîne de la contraction du crédit mène à la crise systémique et à la dépression durable.
C’est ce risque majeur qui justifie l’intervention rapide des Etats et les banques centrales qui sont par nature producteurs ultimes de sécurité de confiance.

Le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’ont pas été à la hauteur de la crise. Leurs hésitations et leurs errements ont hélas laissé se propager l’incendie. Il eût fallu à l'évidence aussitôt nationaliser les pertes des subprimes - c'est-à-dire transformer leur garantie publique implicite en garantie explicite -. Il était tout aussi nécessaire d’empêcher la propagation des actifs contaminés au travers des normes comptables, soit en les isolant dans des structures de defeasance, soit en les dispensant du « mark to market ».

On reste confondu devant le G8 surréaliste du mois d'août qui a occulté la crise financière pour parler du prix du pétrole et des risques d'inflation. Devant la confusion qui a entouré le Plan Paulson . Devant le lâchage surprise de Lehman Brothers qui a engendré la panique.

Et que dire en Europe sur le passage d'un tout va bien rassurant à des interventions d'extrême urgence. Sur les mesures non coordonnées entre les États-Unis et l'Europe, entre les pays européens eux-mêmes, les annonces erratiques des garanties publiques aux dépôts bancaires, Il a fallu côtoyer le gouffre pour que s’engage enfin une réaction coordonnée, à l’envergure de la crise.

Plutôt que de parler de la faillite du capitalisme financier et de vouloir engager son procès, mieux vaudrait faire l'examen tant des failles de la régulation que des fautes et des erreurs des régulateurs et des autorités publiques, à commencer par la question des banques centrales et des politiques monétaires.
Si assurément la finance a besoin de nouvelles règles, la genèse et la conduite de la crise invitent à la prudence et à la modestie.

Publié dans Economie

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